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L’EDITO avec Gilbert Nouno, professeur à la HEM

Nouno Gilbert HEM

Chemins vers la composition cybernétique

Si on cherche un synonyme de cybernétique on trouvera assez facilement intelligence artificielle. Et qu’est-ce que l’intelligence artificielle sinon un ensemble d’informations liées les unes aux autres par un processus complexe ? Étant venu à la musique électronique et aux arts numériques à l’époque des balbutiements de l’internet, je n’étais pas encore conscient de la révolution de pensée que la cybernétique – pourtant théorisée dans les années 40 du siècle passé ! – était en train d’engendrer. L’interdisciplinarité et l’interaction sont les concepts qui viennent compléter la cybernétique. Or il se trouve que l’interdisciplinarité et les technologies interactives sont une condition nécessaire et suffisante pour définir la composition multimédia qui est une nouvelle option du Master of Arts en composition et théorie musicale de la HEM !

Tout cela existait-il donc déjà depuis la seconde moitié du XXe siècle ? Oui en théorie et pas vraiment en pratique car la technologie de l’époque ne permettait pas à la cybernétique d’aller au-delà de la théorie qu’elle proposait. La révolution numérique en cours apportait vers la fin du siècle de nouveaux outils que quelques artistes, dont certains compositeurs, commençaient à explorer. L’interdisciplinarité qui marque le début de la cybernétique est une rencontre souhaitée de différentes disciplines, mises en équations si on peut dire par une théorie de l’information et de la communication. Ce qui est fantastique aujourd’hui est que l’interdisciplinarité apparaît comme une réponse de nos environnements de travail communs – logiciels, ordinateurs, réseaux numériques, monde connecté – aux concepts différents qui les animent. C’est un point d’arrivée et non un point de départ et nous profitons de ce miroir temporel induit par les concepts cybernétiques pour les retrouver comme des évidences nécessaires et des intuitions créatrices !

Que cela nous apporte-t-il alors ? Je dirais d’abord une confusion – positive ! – des mediums (le matériau) et du propos artistique (l’objet), chacun devenant l’autre. En composition, ce qui permet l’écriture, l’interprétation et la transmission est une suite de symboles joués par des musiciens : la partition. Composer avec des matériaux de natures différentes – électronique, vidéo, web, instruments, etc. – ou composer dans un mode de pensée cybernétique, à une échelle macroscopique (celle de la forme) ou microscopique (celle du matériau) c’est aussi écrire une suite de symboles pour des interprètes et des machines ! Cette partition multimédia est soit un code informatique sous forme de texte ou d’objets graphiques, des éléments connectés ou de la vidéo, des informations visuelles en réseau ou des notes écrites à la main. La création artistique peut-elle être alors codée dans un processus d’écriture ? Un compositeur est aussi un chercheur et les nouveaux médias engendrent de nouveaux compositeurs-chercheurs ! Qu’ils maîtrisent ou non et à des degrés divers certains concepts théoriques ou principes technologiques, ils se fraient de toute façon un chemin pour les explorer.

Ces explorations artistiques avec les nouveaux médias nous les mettons dès à présent en œuvre pour la Black Box – un espace ouvert aux résidences artistiques et aux expérimentations en tout genre – des futurs locaux de la HEM dans la Cité de la Musique de Genève. Malgré les craintes et polémiques récentes à l’égard du bâtiment, un projet architectural qui apporte plus de musique signifie plus de musique pour tout le monde, car plus d’accès à la musique crée plus d’accès à la musique pour tous, au-delà des questions de genre ou de style. C’est un phénomène entropique – notre chère théorie de l’information en cybernétique ! – : plus on propose d’accès à la culture et plus la culture augmente pour tous. Il est dans l’intérêt de chacun et de chaque musicien professionnel ou amateur de défendre ce projet, pour lui, pour ses amis, pour les futurs musiciens de tout style, pour tous ceux qui ont le désir d’accéder à plus de musique, d’en faire ou d’en écouter. L’expérience de la Covid que nous traversons et le retour progressif espéré à une situation normale nous montre aussi les limites du « tout en ligne » et le besoin de lieux pour jouer, partager la musique, se retrouver et interagir. La Cité de la Musique de Genève est une sortie symbolique de la pandémie traversée. Nous espérons vous y accueillir tous bientôt notamment avec les artistes locaux pour de nouvelles créations et aventures cybernétiques.

Gilbert Nouno, Compositeur, artiste sonore et professeur à la Haute école de musique de Genève