Interview Uncover avec Patrice Prunier, Professeur et Responsable de la filière Gestion de la nature à l’HEPIA

Responsable de la filière Gestion de la nature à l’HEPIA, Patrice Prunier explore les liens entre biodiversité, climat et société. Passionné par la transmission des savoirs et l’innovation, il accompagne la formation des futurs acteurs du changement et la création de solutions concrètes pour préserver notre environnement. Comment imaginer un monde où nature et activités humaines coexistent durablement ? Comment transformer nos idées en actions à impact positif ? Autant de questions que nous lui avons posées dans cet interview Uncover.

1. Vous êtes à l’interface entre enseignement, recherche et action sur le terrain. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la gestion de la nature, et comment votre parcours influence-t-il votre vision des défis actuels ?

P.P. Au départ de tout parcours il y a invariablement des émotions ; émotions d’être dans un environnement agréable, d’exercer une activité, de partager des connaissances. Mon enfance dans un environnement rural à proximité d’une montagne incarnant une nature préservée a créé « l’étincelle » : mon attrait pour la nature… puis est venu le défi de la maitriser conceptuellement. Mais comment trouver sa place ? Se faire plaisir, s’épanouir tout en ayant un rôle dans la société ? Ma formation universitaire pluridisciplinaire en Gestion des milieux de montagne à Chambéry, puis à Grenoble, m’a permis d’acquérir les fondements de l’ingénierie écologique. C’est lors de ce parcours universitaire que sont véritablement nés mes intérêts pour la botanique et la connaissance des écosystèmes, la conviction que l’on ne pouvait résoudre des problématiques complexes que collectivement et de manière interdisciplinaire. Mon intérêt pour la botanique et les milieux naturels européens m’ont ensuite logiquement conduit vers l’inventaire et la caractérisation des écosystèmes, puis leur restauration, notamment en milieux montagnards et urbains, jusqu’aux responsabilités actuelles en termes d’enseignement et de recherche.

2. Climat, biodiversité, énergie : ces enjeux sont liés, mais souvent traités séparément. Comment mieux les concilier pour éviter les approches cloisonnées ?

P.P. Alors pour mieux les intégrer, il faut créer des contextes d’apprentissage, de résolutions techniques et de recherche pluri- et interdisciplinaires. Pour ce qui est de l’enseignement, c’est ce que je m’emploie à réaliser avec mes collègues de la filière Gestion de la nature au sein d’un cursus incorporant ces différentes thématiques et problématiques à résoudre selon une démarche active de projet. Toutefois, ce type d’approche peut être mis en œuvre dans des variantes plus simples dès l’école primaire. Concernant la résolution technique, les parlements et administrations ont un rôle clé, car de leur manière de légiférer, de soutenir et de présenter des appels d’offres naissent de plus ou moins grandes possibilités d’intégrer ces trois aspects. Prenons par exemple l’aménagement d’une place urbaine, la question de l’ombrage, de la végétalisation et de la production/consommation d’énergie se doivent d’être intégrées dans un même projet, avec nécessairement des compromis à réaliser. Enfin, concernant la recherche, il faut proposer et s’impliquer dans des projets interdisciplinaires comprenant autant que possible ces 3 volets de manière à effectuer des diagnostics globaux de l’état et du fonctionnement d’une même entité. Il y a toujours eu un grand défi à cela, car il est nécessaire de se comprendre entre spécialistes de domaines différents souvent convaincus de la primauté de leur thématique. Toutefois, c’est possible si l’on fait preuve d’ouverture. Nous y arrivons avec différentes équipes de la HES-SO, des SIG, de la CPEG et du canton dans le domaine des toitures bio-solaires où nous analysons simultanément l’état du microclimat, de la diversité, de la production énergétique, les attentes et les coûts liés à un modèle d’aménagement.

3. Former les futurs acteurs de la transition écologique est un défi clé. Quelles compétences sont indispensables pour préparer les étudiants à agir efficacement ?

P.P. Être acteur de la transition écologique c’est avant tout maitriser les connaissances spécifiques à son propre métier, tout en étant conscient des problématique de durabilité. Pour un écologue, ce sont les connaissances des espèces végétales et animales, les milieux naturels, leurs fonctions et fonctionnements afin de pouvoir les rétablir lorsqu’il y a des déficits, voire des disparitions. Ainsi, est-ce le cas en ville, en terrain agricole, le long de certains cours et plans d’eau…. Deuxièmement, c’est aussi faire preuve de méthode. Conduire un projet d’une manière intégrée, c’est effectuer un diagnostic, définir collectivement des objectifs, des mesures, puis les mettre en œuvre et suivre leurs effets. Cette démarche ne s’improvise pas. Pour mettre en œuvre les « solutions » de la transition, il faut troisièmement bien connaitre les techniques, matériaux et machines à utiliser dans le cadre des génies mécanique, civil et biologique. Enfin, naturellement il y a des aptitudes plus personnelles « à développer » ; les projets n’aboutissant le plus souvent que si le contexte relationnel est favorable. Pour cela, il faut être en mesure d’écouter, de concilier, mais aussi trancher et de décider avec son propre vécu, ses forces et faiblesses. Cela se travaille, s’éprouve. Globalement, il y a ainsi 4 domaines de compétences clé pour assurer la transition écologique : les connaissances spécifiques, les méthodes, les techniques et la qualité relationnelle ; autant d’aptitudes que l’on développe à différents degrés avec le temps. Cela s’appelle l’expérience !

4. HEPIA forme des talents, les incubateurs comme Pulse les aident à transformer leurs idées innovantes en actions concrètes qui répondent aux besoins du terrain. Comment ces deux mondes peuvent-ils mieux collaborer pour accélérer la transition écologique ?

P.P. HEPIA dans ses différents cursus, puis lors de l’assistanat, offre la possibilité à des personnes de se former certes, mais aussi de se révéler, de s’épanouir en tant qu’être humain. Si HEPIA permet de développer un potentiel, Pulse permet de le concrétiser. Pour cela, il offre un contexte privilégié de réalisation par la mise à disposition d’un lieu des formations, la mise en contact avec un réseaux d’experts dans les domaines de compétences variés que nous avons évoquées précédemment. Naturellement, chacun.e est inéluctablement confronté.e à ses difficultés et incertitudes. Pulse offre l’opportunité de limiter la durée de ces phases en facilitant les contacts avec des personnes ressources soient expertes, soient partageant les mêmes préoccupations. Chacun s’apporte ainsi mutuellement. Pulse est une opportunité humaine, méthodologique, financière et technique.

5. Si vous aviez un seul conseil à donner à celles et ceux qui veulent innover pour la nature, ce serait quoi ?

De ne pas trop douter ! Ou tout du moins de ne pas douter trop longtemps de soi, de sa motivation, de ses compétences… Evidemment, doute et prise de risques sont nécessaires à toute démarche d’innovation, mais si le questionnement devient trop important alors il absorbe toute initiative, créativité, plaisir. Autant de moteurs d’un projet. Il devient alors essentiel, de s’entourer, de se confronter pour faire émerger des solutions, la confiance, un équilibre… Au-delà du cercle professionnel, le sport, la culture, le jeu, les relations humaines sont tout aussi essentiels à notre équilibre car ils nous aident à la prise de recul, nous révèlent parfois des chemins insoupçonnés, et cultivent notre santé physique et psychique. La santé, n’est-ce pas notre meilleure alliée ?

6. Et si on se projette dans 20 ans… À quoi ressemblerait, selon vous, une société vraiment en harmonie avec la biodiversité.

Ça c’est une question difficile car plusieurs événements mondiaux de ces deux dernières décennies et la montée récente des radicalités invitent à la prudence sur une projection à 20 ans. Essayons néanmoins… Je dirais avant tout que c’est un regard sociétal à renouveler ; en témoignent les rejets des initiatives fédérales sur les pesticides, la biodiversité et les limites planétaires. Là, encore tout ne peut partir que d’une émotion, légitimant et invitant à un regard plus attentif, curieux, observateur, puis à une prise en considération dans notre quotidien, par exemple lors de nos choix alimentaires, l’aménagement de nos extérieurs…. Cela implique un respect du vivant et de ses processus à l’instar des perceptions et considérations développées par les sociétés animistes. C’est un état d’esprit qui participe à une qualité de vie. Se projeter dans le futur, c’est aussi tirer les enseignements du passé, considérer que nos paysages et écosystèmes constituent un patrimoine vivant dont nous sommes issus, et qui parfois peut archiver notre histoire, nos origines. J’ai eu l’occasion de travailler récemment avec une collègue palynologue qui a analysé la composition des grains de pollens stockés dans la tourbière du Salève. A partir de ses observations méthodiques, nous avons pu reconstituer 3000 ans d’histoire locale de cette montagne. Nous n’avons pu le faire que parce que cette tourbière (probablement issue des premiers déboisements de cette montagne) a été conservée. « Notre histoire » était là inscrite dans la biodiversité !

Tu n’es pas seul·e
dans ta mission !

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